À la pêche aux moules-moules-moules...
Devant le rayon des L à la bibliothèque, je me suis souvenue que Livraddict avait récemment proposé en partenariat la lecture du dernier roman de Donna Leon, Le Cantique des Innocents. C'est ce qui m'a donné envie de découvrir cet auteur de romans policiers qui ont pour toile de fond la Sérénissime, et c'est ainsi que j'ai choisi de suivre une enquête au hasard du fameux commissaire vénitien.
Si la couverture noire de l'édition Points, la mention "une enquête du commissaire Brunetti" et la quatrième de couverture concourrent à mettre en avant le côté policier du roman, je trouve que cet adjectif pourrait aisément être remplacé par "gastronomique". En effet, Mortes-eaux pourrait être un roman-gourmand car Brunetti passe plus de temps à déguster la bonne cuisine italienne qu'à résoudre son enquête qui est, somme toute, assez simple.
Le récit a pour toile de fond l'île de Pellestrina, peuplée de pêcheurs bourrus et secrets, dont la mort de deux d'entre eux vient troubler une paix toute relative. A ce double assassinat vient s'ajouter un troisième meurtre, qui n'a même pas pour effet de relancer l'action du roman qui, il faut bien le dire, reste au point mort pendant presque l'entièreté de ses 300 pages. C'est qu'on sent bien que l'ambition de Donna Leon se situe beaucoup plus dans l'idée de faire découvrir son pays d'adoption et de dresser de fins portraits psychologiques (principalement celui de Brunetti) que dans celle de nous tenir en haleine par une énigme palpitante. Car cette histoire de pêcheurs adeptes de la fraude fiscale est tout sauf captivante. Les quarantes dernières pages voient enfin l'action s'emballer (toutes proportions gardées...), avec un dénouement tout à fait cohérent et sans surprise. Donna Leon fait vraiment passer l'aspect "roman policier" au second plan lorsqu'elle fait répondre à son médecin légiste, auquel Brunetti demande une explication quant à l'heure de la mort de la troisième victime : « Contente-toi de me croire sur parole, Guido. On n'est pas à la télé, et je n'ai pas à t'expliquer ce que contenait son estomac , ou quel était le taux d'oxygène dans son sang », s'évitant ainsi une périlleuse démonstration scientifique. Kay Scarpetta rirait bien de cette pirouette !
Les meilleurs moments de Mortes-eaux restent encore les dialogues entre Giudo Brunetti et Paola, sa femme, pleins d'une complicité et d'une intelligence rafraichissants, ou encore ceux où l'on devine l'ambiguité des sentiments du commissaire pour sa secrétaire Elletra : on ressent de la curiosité quant à leur devenir, au contraire du sort des pêcheurs de palourdes, qui n'inspirent que de l'indifférence. Ces personnages attachants suffisent presque à donner envie de découvrir une autre aventure indolente du commissaire, rien que pour avoir le plaisir de les fréquenter à nouveau. Comme le dit Paola, s'adressant à son mari :
« Nous ne nous connaissons jamais vraiment bien, tu ne crois pas ?
- Qui ça ?
- Les vraies personnes.
- Que veux-tu dire, les vraies personnes ?
- Par rapport aux personnages de roman, expliqua Paola. Ce sont les seuls que nous connaissions vraiment bien, que nous connaissions véritablement. [...] Peut-être parce que ce sont les seuls sur lesquels nous disposons d'informations fiables. [...] Les narrateurs ne mentent jamais. »
Donna LEON, Mortes-eaux, 2004.