Adagio

Une autre de ces raisons pourrait être l'extrême lenteur du récit, peut-être en hommage au rythme que Selma Lynge tente d'imposer à son élève. La narration est exclusivement tournée vers le ressenti du narrateur, un jeune homme au seuil de l'âge adulte, angoissé et tourmenté, qui ne vit que pour deux choses : la musique et Anja Skoog. Cet aspect psychologique d'un roman introspectif aurait pu être plaisant si il avait été moins désespéré : Aksel, qui a la vie devant lui, semble pourtant voué au malheur. Il faut dire que l'histoire débute avec la tragique disparition de sa mère, et que rien ne vient éclairer ces 430 pages d'angoisse, de questionnements, de doutes... Pas même ce fol amour à sens unique.
La Société des Jeunes Pianistes - qui ne fait son apparition qu'après plus de 200 pages au cours desquelles Aksel rencontre Anja, se prépare à un concours de musique puis y participe (et c'est presque tout) - pourrait être l'élément le plus intéressant du roman auquel il a donné son titre (dans la traduction française), mais on dirait que Ketil Bjørnstad n'a pas souhaité s'y attarder. Pourtant, les amitiés ambiguës et les personnalités de ces jeunes talents évoluant dans cet univers si particulier redonnent un peu de souffle au récit.
Les personnages ou les relations qui paraissaient les plus prometteuses - toutes proportions gardées dans ce roman très plat en dehors des envolées musicales - restent à jamais inexploités, ce qui est à déplorer : pourquoi ne pas nous donner la possibilité de mieux connaître la mystérieuse Cathrine, la soeur du narrateur, ou Marianne Skoog et ses secrets à propos de sa fille, et peut-être de mieux comprendre la célèbre Selma Lynge, la professeur d'Aksel ? On dirait que l'auteur norvégien a craint de se détourner de l'obsessionnelle musique...
Beaucoup de questions restent sans réponse : c'est au lecteur de tirer ses propres conclusions. C'est un procédé contre lequel je n'ai rien en général... Mais en l'occurrence, quel déséquilibre entre toute cette matière inexploitée, avec cette impression de gâchis irréversible, et tous ces moments creux entre deux révélations qui ravivaient mon intérêt agonisant ! Décidément, ce qu'il m'a manqué, c'est cette oreille musicale qui m'aurait permis d'apprécier même les plus longues descriptions de concerts ou de symphonies.
Ketil BJØRNSTAD, La Société des Jeunes Pianistes, 2006.