Beau show

Sophocle nous raconte ce qui conduit le misérable Œdipe à errer aveugle sur les routes.
Bauchau s’attarde davantage sur le voyage d’Œdipe en quête de l’ultime destinée qu’il trouvera dans le bois sacré des Erynies.
L’écriture de Bauchau ressemble à une suite d’énigmes. Le lecteur devra intérioriser le récit et ne plus faire qu’un avec l’écriture si il veut saisir les fondements du récit. L’auteur ne ménage pas sa peine pour offrir toute une imagerie sensible et prompte à amener le lecteur à l’essentiel : l’émotion.
Ainsi cette vague qu’Œdipe se sent obliger de tailler, ou plutôt d’extirper, de la roche et la faire retomber dans la Mer n’est-ce pas cette passion qui réside en chacun de nous et menace de nous submerger si nous ne pouvons la domestiquer ?
Et cette violence de Clios surgie des temps anciens où il tua le seul être qu’il aima, n’est-ce pas ce désir qui confond l’amour et la haine en les hissant à un même niveau ?
Et Antigone qui refuse d’abandonner Œdipe à son sort et le poursuit sur la route, femme guerrière mais attentive qui a rejeté la gloire de son nom pour son père et qui s’éprend de Clios, n’est-pas là le rappel de la virulence des sentiments humains?
Bien d’autres métaphores jonchent la narration et amènent à se questionner dangereusement sur la nature sous-jacente du sentiment et de l’émotion : le labyrinthe et le combat que livre Œdipe contre le monstre (mais peut-être contre lui-même), la danse et le chant omniprésents dans l’ouvrage qui donnent à l’homme son salut…
Car l’Art est lui aussi une thématique forte du livre. L’Art constitue l’outil qui domestique les passions de l’homme, qui les rend moins brutales en les exposant aux yeux de tous et offre un appui à la réflexion. L’Art est ce qui nous sauvera de nos penchants bestiaux, brutaux et contradictoires.
Bauchau nous livre un ouvrage extrêmement accompli. Il remplit le défi de donner à son texte le poli d’un Velasquez tout en gardant le graveleux d’un Otto Dix, de conserver la magie des mythes en affirmant la réalité de notre univers social, de perpétuer la tradition des tragédies en rédigeant une œuvre moderne.
Je ne peux que m’extasier devant un tel travail, un tel rendu et même si il nécessite quelques efforts, je le conseille vivement à tous ceux qui aiment dans la littérature le côté réconfortant de l’émotion et de la quête du vrai, du beau, du soi…
Henry BAUCHAU, Oedipe sur la route, 2000.