Benson im Himmel !
Avant d'être un roman policier, Le Carré de la vengeance est un roman belge. Il ne faut pas avoir lu 50 pages pour avoir droit à la fête de la Communauté flamande, à une vanne sur le parkinson présumé du roi Albert II, au bon néerlandais pratiqué par certains, tandis que les Flamands les plus bourgeois parlent le français ; le commissaire Van In aura bu des dizaines de Duvel, évalué des sommes en francs belges, et même compté jusqu'à septante. Sans parler des grades de la police et de la gendarmerie, ces deux corps se partageant la vedette avec Bruges. Nos visiteurs les plus attentifs auront compris que le roman dont il est question ne peut pas être tout à fait récent : sans parler du passage à l'euro, la gendarmerie n'existe plus depuis plus de 10 ans, rendant les querelles entre Van In et le capitaine D'Hondt obsolètes, même si Pieter Aspe est bien inspiré de mettre le doigt sur des dysfonctionnements qui ont mené tout droit à la réforme des polices.
C'est acquis : notre Brugeois prend plaisir à faire découvrir son pays sous toutes les coutures, et il maîtrise l'art de créer des personnages attachants qu'on aura envie de retrouver dans un prochain tome. Le commissaire Van In et le brigadier Versavel sont particulièrement convaincants ; j'ai eu plus de mal avec le substitut du procureur Hannelore Martens, pourtant sympa (mais était-il nécessaire de répéter toutes les dix pages qu'elle aurait pu être mannequin ?) et avec la surprenante tournure que prend sa relation avec Van In, fil conducteur du volume. J'ajouterai que Pieter Aspe jouit d'un style avenant, sarcastique par moments, osant parfois de curieuses métaphores.
L'énigme policière reste tout à fait digne de ce nom, même si le "carré de la vengeance" et l'ésotérisme qu'il implique sont vraiment marginaux, voire un peu incongrus. L'enquête est menée avec sobriété et intelligence, la dose adéquate de rebondissements et un dénouement réaliste. Le contexte d'une famille très influente de Bruges est intéressant, même si l'aspect politique des choses vient plutôt embrouiller des cartes déjà bien mélangées par une histoire familiale compliquée. Heureusement, Pieter Aspe offre au lecteur un éclaircissement complet de l'affaire dans les dernières pages.
Pieter ASPE, Le Carré de la vengeance, 1995.