Brûler le détroit de Gibraltar
Il y a quelques mois, j'avais été chamboulée par le très touchant Sur ma mère de Tahar Ben Jelloun. C'est sur un tout autre ton que l'auteur franco-marocain évoque le rêve que chérissent ses jeunes compatriotes de quitter leur pays natal pour rejoindre l'Europe de tous les possibles. Il décrit sans concessions un pays rongé par la corruption et la pauvreté, où l'oisiveté et le désespoir sont le lot commun de la jeunesse, même la plus diplômée : c'est ainsi que partir devient vital. Cependant, le Maroc de Tahar Ben Jelloun conserve un certain charme, celui d'une richesse culturelle, qui transparaît malgré tout à travers ces 300 pages d'aventures malheureuses vécues par Azel et ses proches.
Azz El Arab rêve donc de rejoindre l'Espagne, lui qui, malgré son diplôme de droit, n'arrive pas à trouver un travail et vivote aux crochets de sa soeur, Kenza. Lorsque Miguel lui en offre la possibilité, il n'hésite pas, même s'il sait que le prix à payer en sera élevé... Car en effet, son riche bienfaiteur est amoureux de lui, et il s'attend à ce que son protégé le lui rende bien. Si la trame peut être résumée en ces quelques mots, ils sont loin de rendre le mal-être qu'Azel s'apprête à vivre, au point de ne plus savoir qui il est vraiment. C'est une lente descente aux enfers que le jeune homme va suivre, même si Miguel va s'avérer être un homme d'un bonté exceptionnelle - l'un des personnages les plus attachants du roman, avec la courageuse Kenza. Personnellement, j'avouerai même qu'Azel ne m'a inspiré ni sympathie, ni empathie, même dans ses moments de doute et de souffrance. Peut-être que son obsession pour le sexe, son hypocrisie vis-à-vis du très sincère Miguel, son absence de consience - par opposition à l'honnêteté de sa soeur, pourtant partie d'une situation similaire ! -, ne sont pas étrangères à mon désintérêt pour ce personnage.
Partir, s'il est loin d'être une lecture de tout repos, a le mérite d'ouvrir les yeux sur plusieurs réalités qui sont peut-être trop méconnues. Le mal-être des jeunes Marocains, le pourquoi de leur désir si fort de quitter leur pays pour notre Europe, la lourdeur de certaines traditions (incarnées par la mère d'Azel et Kenza), la corruption et d'autres maux qui rongent le Maroc d'avant Mohammed VI.
Tahar BEN JELLOUN, Partir, 2006.