Capri, c'est fini...

Ecrivain dont l’œuvre ne lui permet de vivre décemment, il conçoit des scénarios pour Battista qui est producteur de cinéma.
Emilia ne rêve que de posséder une maison avec un intérieur à décorer, entretenir, chérir. Pour assouvir ce désir, Riccardo met de côté ses désirs artistiques au profit d’une carrière scénaristique plus rentable.
Et alors que Riccardo semble prolonger sa collaboration avec Battista, il sent chez Emilia un changement d’abord subtil puis de plus en plus marqué. Il lui semble qu’elle ne l’aime plus. L’idée l’obsède. Il veut savoir, questionne sans cesse Emilia jusqu’à la réponse fatale : non seulement elle ne l’aime plus mais elle le méprise.
Riccardo cherchera à comprendre l’origine de ce mépris et tentera de reconquérir Emilia malgré l’ampleur du désastre.
Le mépris est un roman vrai, authentique, poignant qui parle d’amour au quotidien sans tromper sur la marchandise. Il décrit cette situation où un être cesse d’aimer au plus grand désarroi de celui qui, lui, n’a cessé d’aimer.
C’est un livre qui traite de l’estime de soi, de l’image que l’on voit lorsqu’on porte le regard sur soi. Riccardo se méprise bien avant que ne le fasse Emilia. Il ne voit pas d’issue à sa carrière d’écrivain, se sent dépassé par les événements et déteste le travail qu’il fait.
Moravia nous livre les caractères, les tempéraments et les vies de chacun : Battista l’arriviste prêt à tout, Riccardo le poète idéaliste, Rheingold l’analyste froid et pragmatique.
Moravia a ce trait de génie d’utiliser l’art à contre-courant. Il n’en fait pas ce facteur d’influence pour la vie des spectateurs mais au contraire rend le regard porté sur l’art tributaire des tempéraments et des points de vue de celui qui observe. Ainsi nous ne pourrions plus dire : « La musique adoucit les moeurs » mais bien « Les mœurs pourraient adoucir la musique ». Et la talent s’illustre dans l’usage que fait l’auteur dans le choix du livre à adapter par les scénaristes.
Riccardo a pour tâche de transposer au cinéma l’Odyssée d'Homère. Il devra collaborer avec Rheingold, scénariste germanique très influencé par la psychanalyse. Battista ne veut pas d’un film psychologique mais veut un spectacle grandiose qui rapportera de l’argent, et il charge Riccardo de freiner les ardeurs de Rheingold. Mais Rheingold voit dans le récit d’Ulysse et de Pénélope une histoire de couple davantage que d’héroïsme. Histoire qui se calque sur la propre existence de Riccardo et donnera au récit un jeu de miroir très intéressant quant à la compréhension de cette histoire d’amour en perdition.
Un livre magistral, subtil, tendre et cruel qui donne au lecteur la mesure du sentiment humain et de son cortège de souffrances.
Un livre essentiel mais douloureusement tragique.
Alberto MORAVIA, Le mépris, 1954.