Chiche !

Coelho aborde ces questions sous la forme d'une fable : le paisible village de Bescos - 281 habitants - subit l'attaque du Démon. Le deal : dix lingots d'or - autant dire la survie du village - en échange d'un meurtre. Un villageois tue n'importe quel autre homme, et Bescos revit. A partir de cette folle proposition de l'étranger, relayée par mademoiselle Prym, les questionnements vont s'enchainer, d'abord pour la demoiselle, amenée à faire des choix qu'elle a toujours repoussés, puis pour les notables du village, le curé en tête. Vont-ils tuer ? A l'image de Jésus qui s'est sacrifié pour le salut de l'humanité, un homme va-t-il mourir pour sauver le village ?
En seulement 250 pages, principalement noircies de dialogues, Coelho parvient pourtant à approfondir une galerie de cinq ou six personnages. L'auteur brésilien offre en prime - mais n'est-ce pas ce qui le caractérise ? - de petites réflexions, de petites leçons de vie, sous forme d'anecdotes, en marge du récit. Enfin, il dessine Bescos à l'image de l'enfer ou du paradis, selon les points de vue, à moins qu'il s'agisse là aussi d'un seul et même lieu.
Le combat entre les deux forces opposées que sont le Bien et le Mal a réellement lieu, dans l'univers de Paulo Coelho, entre les démons et les anges qui accompagnent l'étranger et mademoiselle Prym et que seule la vieille Berta ou les jeunes enfants peuvent voir. Le roman est aussi plein de légendes et superstitions, liées au village de Bescos et à son histoire. La religion n'est pas en reste : elle justifie bien des comportements et bien des actes, elle adoucit bien des consciences.
Jusqu'aux toutes dernières pages, on se demande si les habitants de Bescos vont ou non tuer quelqu'un dans l'espoir de gagner les dix lingots : de ce point de vue, le suspense est habilement ménagé, même si on sent que là n'est pas le véritable enjeu du petit livre. Quant au récit, j'ai parfois eu l'impression que Coelho manquait un peu d'audace, qu'il avançait d'un pas pour ensuite reculer de deux : il m'a semblé que l'histoire aurait pu être mieux exploitée, tourner un peu moins en rond, même si on voit bien où l'auteur veut en venir - il faut dire qu'il lance des perches à tout bout de champ, pour être sûr de n'égarer aucun lecteur, et que la thématique est transparente. Mine de rien, sous des dehors d'extrême simplicité, le court roman fait réfléchir - mais est-ce dû à la plume et à l'imagination du Brésilien, ou plutôt à la force de la question soulevée ?
Paulo COELHO, Le Démon et mademoiselle Prym, 2001.