Comment élever son enfant ?

Il a 9 ans lorsqu’il fait la connaissance du maître Yehudi. Le maître n’a que peu d’efforts à fournir pour convaincre l’oncle de se débarrasser du gamin.
Les voilà donc sur la route en direction de Wichita, l’endroit où vit le maître avec maman Sue et Esope.
Maman Sue (maman Sioux en fait) est une vieille Indienne édentée qui se produisait jadis dans la troupe de Buffalo Bill.
Esope est un jeune « nègre » dont l’existence a largement entamé le corps. Pourtant le maître a juré de faire de cet être rachitique, difforme et rejeté de tous un intellectuel de haut vol futur diplômé d’une grande Université. Autant dire qu’il s’agit d’un exploit dans le Sud des USA au beau milieu des années 1920.
Maître Yehudi a toujours été l’homme des défis. Avec Walt Rawley, il se propose de développer le don qu’il a senti chez lui : voler comme un oiseau.
Il va donc l’entraîner à la dure, lui faire dépasser d’inimaginables limites, le harceler jusqu’à ce qu’il puisse décoller les pieds du sol.
Après cela, ils pourront compter sur la gloire…
Mais la gloire n’est pas tout et la vie aura tôt fait de les rejoindre. Derrière le succès, la tragédie et le destin attendent patiemment leur heure.
Paul Auster revient sur des thèmes qui lui sont chers : le rêve américain, l’ambition, le destin, l’Amérique profonde et ses bizarreries et l’errance.
Il nous offre à nouveau des personnages d’une richesse inouïe. Bien que les « gentils » se distinguent clairement des « méchants » (à un point tel que j’eus la sensation d’être dans un western à plusieurs reprises) , les acteurs sont loin d’être caricaturaux.
Riches en émotions, « carapacés » derrière leurs défauts mais sans cesse rattrapés pas leurs obligations, ils sont plausibles et attachants.
Le tour de force de l’auteur est de rendre son histoire crédible. En plaçant ce « conte » dans un contexte parfaitement historique (Lindbergh, la grande crise, la seconde guerre mondiale) et géographiquement délimité (Yehudi et Walt traversent les USA d’un côté à l’autre et le moindre trou perdu nous est présenté), Paul Auster donne au lecteur l’envie de fouiner dans les journaux et y vérifier ce qu’il advint de Walt le Prodige.
Le livre est prenant du début à la fin tant la tournure qu’il prend reste inattendue. Il n’est pas question de deviner de quoi sera fait le dénouement : il reste une surprise jusqu’à la dernière bouchée.
Mr. Vertigo est avant tout un livre sur l’amitié et sur les détours que parfois prend la vie. Il est une démonstration claire et nette qu’il est impossible à l’homme de dire de quoi sera fait demain.
Le style est clair, fluide, précis. Le rythme est mis en place intelligemment et la cadence du récit n’est pas inutilement freinée par de trop longs discours ou d’insipides descriptions. Les mots sont choisis en fonction du personnage et de l’endroit de l’histoire où nous nous trouvons. Les dialogues sont très imagés et renforcent le côté charnel des personnages. Paul Auster se laisse même aller à l’argot ou à la grivoiserie mais de manière très heureuse car jamais il ne dépasse la limite du nécessaire et ne sombre dans le vulgaire.
Pour résumer voilà un livre savoureux, fantasque et paradoxalement réaliste dans un même temps. Ce n’est pas aujourd’hui que Paul Auster me décevra…
Paul AUSTER, Mr Vertigo, 1994.