Tout est bien qui finit bien

« Vous dites que ces dernières semaines ont gâché ma vie. C'est faux. Au contraire. Elles lui ont redonné un nouveau sens, elles m'ont clairement montré le chemin que je devais suivre. [...] Depuis que j'ai passé mes examens, en exceptant le mois que j'ai passé ici, il y a deux ans, j'ai été désorienté. J'avançais dans un tunnel obscur, poussé par une ambition qui n'était pas la mienne. J'ai été pris au piège, pris dans un engrenage, infidèle à moi-même. J'ai trop voulu faire comme les autres. »
Dans ce roman de Cronin, tout est agréablement convenu. Le caractère extrêmement stéréotypé des personnages est l'ingrédient principal de cette excellente fable. Le héros, Duncan Stirling, affublé de plusieurs handicaps (social, physique, de caractère...) est courageux, persévérant, bon et honnête ; son rival en amour et dans la profession, Overton, est bien sûr ambitieux, arriviste et infidèle. La femme dont Duncan est secrètement amoureux, sous des dehors charmeurs, s'avèrera sans surprise être fausse et manipulatrice, surtout en comparaison de Jeanne, si brave et au coeur si pur. L'auteur ne nous épargne pas non plus le vieux médecin de campagne, ronchon au possible mais généreux et aimé de tous les paysans du village, contre le riche industriel promoteur d'une usine qui dégrade le paysage écossais et estropie les ouvriers.
Un seul personnage est ambigu : le célèbre Dr. Anna Geisler. C'est elle qui à la fois rend Duncan à la vie, se l'aliénant ainsi et s'en faisant un ami sûr, et l'éloigne (provisoirement) de sa route en le rendant ambitieux et inhumain : « Pourquoi éveillez-vous toujours en moi les plus mauvais sentiments ? [...] Vous êtes la femme la plus égoïste, la plus infernale que j'aie jamais rencontrée ».
Cronin nous conte exactement ce qu'on a envie de lire : une histoire où le courage de Duncan est récompensé, où l'amour sincère et désintéressé triomphe tandis que l'union de deux fortunes capote, où la nature elle-même reprend ses droits sur l'homme qui a voulu la défigurer, où la médecine anéantit la maladie, à l'aide de Dieu, où même une femme peut accéder aux plus hautes fonctions administratives.
A l'heure où la réussite à tout prix récolte tous les suffrages, lire Cronin est un vaccin efficace contre le cynisme ambiant !
A. J. CRONIN, Les années d'illusion, 1952.