Être père
A mon ami Marino
« [...] il fallait bien que l'un de nous trois reste éveillé, monte la garde, en quelque sorte, comme une sentinelle sur un chemin de ronde, guettant quelque improbable danger. Il m'apparut que tel serait mon rôle désormais, rester en éveil, c'est-à-dire veiller sur notre petite tribu. »
Le voyage de Luca retrace l'épopée épique de ce bébé qui eut la chance de naître de parents assez fous pour entreprendre la traversée de l'Amérique à bord d'une antique et maternelle Volkswagen, accompagnés de leur plus précieux bagage. Au cours de ces sept mois d'aventures, le bébé Luca devient un enfant, familier des grizzlis, de la pêche, des feux de camps, et ne supportant de dormir que dans le ventre de la vieille camionnette. Mais c'est aussi ce voyage à travers les déserts mexicains, les plaines canadiennes et les métropoles américaines qui fera de lui l'homme qu'il est aujourd'hui, comme tente de le découvrir la thérapeute familiale à qui s'adresse Marian, le narrateur et père du héros éponyme.
C'est un magnifique roman que nous offre Jean-Luc Outers, donnant la parole à un jeune homme qui découvre au cours de ce voyage la paternité, et qui fait de Luca un personnage à part entière, un véritable compagnon de route - évidemment au sens propre comme au sens figuré, augurant de ce que seront leurs relations à venir : entourées d'un amour rendu inébranlable par le partage intime et précoce de ces aventures.
La mère de Luca, Julie, n'est pas en reste, car son compagnon parle d'elle avec un naturel et une pudeur qui ne parviennent pas à cacher l'amour qu'il lui voue, même si on peut regretter que leurs relations, leur histoire, ne soient pas plus développés. Mais après tout, n'est-ce pas Luca le héros de ce roman ? C 'est peut-être l'absence quasi-totale de dialogues qui instaure une certaine distance entre le lecteur et les personnages, laissant au narrateur le soin de choisir ce qu'il veut bien nous raconter de ce périple, et de quelle façon. Ainsi est-ce à travers ses yeux et ses émotions que nous découvrons la beauté des parcs naturels américains, la chaleur étouffante des déserts, le spectacle époustouflant de la Vallée de la Mort ; et on se dit inévitablement que des descriptions objectives auraient eu moins d'intérêt que les mots de Marian, à qui l'on s'attache vraiment. Il se fait le gardien de ces souvenirs fondateurs d'une personnalité future, mais il nous confie également ses doutes et ses espoirs, interprétant à l'occasion de façon amusante mais intelligente ce que doivent être les pensées d'un petit être d'un an ou deux.
Au terme de cette lecture, on se surprend à regretter de ne pas faire partie des amis de la petite famille que l'on a appris à bien connaître. Car Le voyage de Luca, c'est aussi une multitude de jolies rencontres (pour le petit) ou de retrouvailles touchantes (pour les parents).
Ce petit roman accumule décidément les qualités, car le très belge auteur de ce bijou, qui ne fait aucun mystère de sa nationalité, jouit d'un style remarquable. Un humour sobre mais efficace et omniprésent agrémente le récit, et lui donne une allure familière, amplifiée par la "belgitude" des protagonistes. Jean-Luc Outers parvient à créer une atmosphère légère même là où la situation semble dégénérer, mais surtout il rend tout l'amour de ses parents pour Luca sans tomber dans la mièvrerie. Tout sonne vrai.
En un mot, Le voyage de Luca est un livre à lire absolument !
Jean-Luc OUTERS, Le Voyage de Luca, 2008.