L'échiquier du Mal
Le Joueur d'échecs, c'est l'histoire d'une passion effrénée, d'une addiction dévorante. Au bout de quelques lignes, on pense avoir cerné le joueur qui donne son titre à la nouvelle : Mirko Czentovic, un champion international d'origine russe. Son portrait est rapidement dressé par l'ami du narrateur : tout à fait inculte, son seul don réside dans l'art des échecs, qu'il ne peut jouer qu'à la condition de se trouver devant un plateau. La gloire l'a rendu avide d'argent et méprisant.
Stefan Zweig introduit alors le véritable héros de sa nouvelle, dans la personne de M. B..., virtuose mystérieux des échecs. Ce dernier se confie à notre narrateur - une sorte de docteur Watson - dans le long récit de ce qui l'a amené à cette maîtrise monomaniaque et dangereuse des 64 cases de l'échiquier. M.B... est l'exact opposé de Czentovic : raffiné, instruit et cultivé, il possède une impressionnante capacité d'abstraction.
Zweig parvient, en à peine 90 pages, à nous éloigner du paquebot sur lequel le hasard permettra à nos deux grands maîtres de s'affronter dans une partie mémorable, pour nous emmener au coeur de la barbarie nazie. Car, alors que le don de Czentovic semble lui être tombé dessus comme la compensation à sa médiocrité générale, M. B... a développé - outrancièrement - le sien en réaction à une situation extrême.
Stefan ZWEIG, Le Joueur d'échecs, 1943.