L'étalon italien
Lors de mes dernières pérégrinations à la bibliothèque, mon choix s'est notamment arrêté sur le célèbre auteur italien Italo Calvino. Au hasard, j'ai emporté Le Chevalier inexistant - titre intrigant s'il en est -, qui s'est avéré être le troisième opus de la trilogie Nos ancêtres. Heureusement, nul besoin d'avoir lu Le Vicomte pourfendu ou Le Baron perché pour savourer pleinement celui qui m'est tombé entre les mains.
Quel bon moment j'ai passé en compagnie d'Agilulfe Edme Bertrandinet des Guildivernes et autres de Carpentras et Syra, chevalier de Sélimpie Citérieure et de Fez ! D'abord, le récit et la plume d'Italo Calvino sont pleins d'un humour vraiment excellent. Le chevalier Agilulfe est véritablement inexistant - sous son armure immaculée, personne ! -, son opposé se trouve être Gourdoulou, un homme qui se prend pour un canard, un poirier ou la mer - en un mot, qui existe trop. Charlemagne lui-même est en décalage avec le personnage historique que l'on connaît. Quant à la narratrice, il s'agit d'une nonne qui s'égare volontiers dans des considérations naïves et un peu excentriques sur l'art d'écrire.
Les aventures d'Agilulfe, en quête de la confirmation de son titre de chevalier, celles de Torrismond, qui recherche ses pères sensés être... l'ensemble des Chevaliers du Graal, ou encore celles de Raimbaut, amoureux fou de la paladine Bradamante... Ces aventures, donc, sont toutes insolites et plus ou moins invraisemblables : c'est évidemment ce qui fait tout leur charme, tout leur intérêt. Le Moyen-Âge revisité par Calvino vaut son pesant de cacahuètes.
Pourtant, si l'on veut aller au-delà du divertissement drolatique, Le Chevalier inexistant permet une réflexion plus profonde. Par exemple, que penser de ce personnage qui, pour exister, s'astreint à une discipline de fer dans tous les domaines et n'est pourtant apprécié de personne ou presque, en comparaison avec ce fou aimé de tous, même du Roi ? Pour le reste, chacun y trouvera à nourrir les pensées qu'il voudra bien y consacrer.
J'ai l'embarras du choix quant aux extraits qui rendraient hommage à la plume de Calvino. Celui-ci se situe au moment où, Gourdoulou devenu écuyer d'Agilulfe, est chargé d'ensevelir les morts tombés lors d'un affrontement entre l'armée de Charlemagne et les Sarrasins. Il s'adresse au mort :
« Tu souffles certains vents cent fois plus infectes que les miens, cadavre ! Il y a une chose que je ne comprends pas : tout le monde te plaint ; pourquoi ? [...] Avant, bon, tu te donnais du mouvement ; à présent, le mouvement, c'est toi qui le donneras aux vers que tu vas engraisser. Tu poussais, de tous tes ongles et de tous tes cheveux : désormais tu couleras, lymphe, et les herbes de la prairie monteront plus hautes dans le soleil. Herbe tu deviendras, puis lait des vaches qui viendront brouter l'herbe, sang de l'enfant qui aura bu le lait, et ainsi de suite. Tu vois bien que tu sais vivre mieux que moi, cadavre ! ».
Italo CALVINO, Le Chevalier inexistant, 1959.