La fille du Juge, la femme de l'écrivain
Disons-le d'emblée : du couple formé par Francis Scott Key et Zelda Fitzgerald, je ne connaissais rien ou presque avant d'entamer la lecture d'Alabama Song. Ainsi n'ai-je eu aucune difficulté à aborder le petit livre comme un roman, sans avoir aucune possibilité de comparer l'oeuvre fictive née de l'imagination de Gilles Leroy avec la vie réelle des protagonistes. Pour tout vous dire, ce n'est pas la vie de l'auteur de Gatsby le magnifique qui a suscité mon intérêt, mais c'est bien la plume de Gilles Leroy que j'ai eu envie de découvrir, après avoir écouté ce dernier évoquer son récent et tentant Zola Jackson.
L'écrivain français, lauréat du prix Goncourt, se glisse donc à merveille dans la peau d'une représentation de Zelda Sayre Fitzgerald dans ce dramatique et sensible Alabama Song. Son style à part nous permet de partager les émotions de cette jeune fille du Sud américain, tombée amoureuse d'un lieutenant désargenté qui se rêvait écrivain. La sensibilité de Gilles Leroy et sa prouesse de donner la parole, de façon crédible, à un personnage tel que Zelda Fitzgerald sont les deux raisons qui à elles seules justifient la lecture de ce court roman.
En revanche, je dois bien avouer que l'histoire, celle du couple mythique, ne m'a guère enchantée. Pourtant, l'auteur se décarcasse pour la rendre attrayante, avec ces allers et retours dans le temps, ces discours débridés de la narratrice, ces quelques dialogues décousus, ces portraits des proches de Zelda, ces séjours en hôpital psychiatrique, cette jeunesse délurée, ces amours adultères, puis ce désenchantement. Pour moi, ce désordre, cette confusion - qui sont amplement justifiés par la personnalité même de Zelda, par sa vie avec Scott - ont été plutôt perturbants, même s'il est indéniable qu'ils servent le fond du récit. Ajoutez à ça que l'atmosphère qui a entouré les Fitzgerald, c'est-à-dire l'alcool, les amitiés dissolues, l'amant français de Zelda et l'amoureux homosexuel supposé de Scott, les voyages, les écrits volés, et le tumulte d'un mariage raté, le tout dans les années 20 puis 40, n'a suscité ni mon intérêt, ni ma sympathie. Mais j'y vois une nouvelle preuve du talent de Gilles Leroy qui m'a immergée dans son roman.
En dernier lieu, je n'ai pas pu m'attacher ni à Zelda, qui dit d'elle-même qu'elle est une mauvaise fille, ni à Scott, ni à aucun des personnages secondaires. Et pourtant, la narratrice pourrait attirer la compassion du lecteur, elle que son mari envoyait régulièrement à l'asile, à qui il interdisait d'écrire, elle qui n'a pas pu vivre son grand amour français, ni réaliser son rêve de danseuse. Mais non, même la fin de l'histoire n'a provoqué en moi aucune émotion. D'aucuns diraient non sans humour facile que j'ai un coeur de Pierre (ahem).
Gilles LEROY, Alabama Song, 2007.