Le Défenseur de l'Aube d'Argent est un impuissant
Dans Les heures souterraines, Delphine de Vigan nous plonge dans l'univers cruel et sordide de l'entreprise, lorsqu'elle devient le territoire exclusif d'un supérieur hiérarchique tyrannique. En effet, depuis plusieurs mois, Mathilde subit le harcèlement moral de Jacques, auquel elle a eu le malheur de s'opposer, elle qui fut pendant 8 ans son fidèle bras droit. La voici peu à peu mais inexorablement dépossédée de toutes ses tâches, reléguée dans un cagibi à côté des toilettes, ignorée de ses collègues qui n'osent affronter l'instigateur du complot, craignant d'être les prochains sur la liste. En un mot, brisée. Et pourtant, l'entreprise l'avait sauvée, Mathilde, à la mort de son mari : elle lui avait permis de ne pas sombrer, elle lui avait donné une raison de se lever tous les matins et d'affronter le métro.
Parallèlement à l'histoire de cette mère de famille patiemment grignotée par l'oeuvre destructrice de son patron, nous suivons Thibault, un de ces médecins itinérants qui sauvent tous les enrhumés de Paris. Lui, son truc, c'est de se lamenter sur la perte de Lila, cette femme qui n'a pas su l'aimer, ou qu'il n'a pas su aimer, et qu'en conséquence il vient de quitter, enfin.
Les chapitres consacrés à Mathilde et à son calvaire sont bien sûr oppressants : à cause de ce qu'ils racontent (de façon assez redondante), mais aussi du style qui est très haché. Les phrases sont très courtes, un peu brusques, et conviennent à l'état d'esprit de la victime qui n'arrive plus à réfléchir, pour qui les gestes du quotidien demandent un effort. Si l'atmosphère, le sentiment d'impuissance sont très bien rendus, le revers de la médaille en est que la lecture est globalement peu agréable. Il aurait peut-être fallu que les chapitres de Thibault, qui s'intercalent régulièrement, soient une bulle d'oxygène dans l'histoire sans issue de Mathilde, mais il n'en est rien. Lui aussi semble en pleine dépression, fait le bilan d'une demi-vie insatisfaisante, et n'a qu'une envie : s'allonger et pleurer (à tous les chapitres, ou presque !). Ajoutez à ces deux portraits désespérés une réflexion sur la ville qui broie ses habitants, où tout le monde est si pressé - encore une atmosphère très bien rendue - et vous comprenez que Les heures souterraines est un livre gris. A éviter si vous cherchez une lecture-détente, ou de la gaieté.
Delphine de VIGAN, Les heures souterraines, 2009.