Le singe qui se racontait des histoires
"A quoi ça sert d'inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable ?"
Cette question posée à Nancy Huston par une détenue de Fleury-Mérogis sert de base à la réflexion contenue dans L'espèce fabulatrice.
En effet, l'auteur n'a pu répondre spontanément à cette interrogation. Elle qui écrit des romans estime ne pas avoir une réponse simple et brève dans ce cas de figure.
C'est pour cette raison qu'elle a réfléchi longuement et a rédigé cet essai autour des fictions tissées par l'humanité.
Et quel bonheur pour nous !
Même si je ne la rejoins pas sur l'ensemble de ses conclusions, les questions suscitées dans ce livre sont passionnantes.
Nancy Huston investigue avec une certaine légèreté sur la nécessité de donner un Sens à l'existence humaine.
Car l'homme n'a par le biais de son système nerveux qu'un regard illusoire sur la réalité. Il ne peut l'appréhender directement et doit au préalable la soumettre à toute une série d'interprétations.
Ces interprétations sont elles-mêmes soumises à des règles, des impérieux culturels, sociologiques, biologiques ou éducatifs.
Car l'homme au cours de l'évolution s'est montré un piètre animal, faible, mal armé face à un environnement hostile et surtout conscient de ces limites.
Combien de fois affirmons-nous en soufflant : "Quelle chienne de vie !", "J'ai vraiment pas de chance", "Tout est contre moi" ou encore "Qu'est-ce que je fais ici ?"
Créer une fiction nous permet de domestiquer cette apparente inutilité, de percevoir autre chose qu'une naissance et une mort dans nos existences, de fournir un moteur à nos actes à venir.
La religion, la science, l'armée, la guerre, le groupe, la famille, le sexe sont autant d'histoires que l'homme se raconte. Des histoires qui lui donnent une importance, un rôle à jouer à la surface de cette planète. Un rôle que l'animal autre qu'humain n'a pas besoin d'endosser car il ignore tout de ses limites.
Ainsi l'homme n'a de cesse de se réinventer dans le mythe, de se créer un milieu dans lequel il puisse trouver une place qui lui paraisse vivable.
La littérature a ce rôle fondamental, les relations entre dictature et absence de lecture semblent le démontrer, d'observer comment la réalité est perçue par l'autre et de mettre en rapport ses constatations avec les nôtres.
Et de conclure sur l'art du roman à proprement parler :
L'empathie narrative : voilà, entre moi et la détenue, le territoire d'égalité et de pensée réciproque. Seule de tous les arts, la littérature nous permet d'explorer l'intériorité d'autrui. (Souligné dans le texte)
Nancy HUSTON, L'espèce fabulatrice, 2010.