Lo-li-ta. Lo.Li.Ta.
Lolita est une lecture qui me laisse des impressions contradictoires. Tout d'abord, je dois vous avouer que j'ai passé des moments assez difficiles avec ce livre dont le narrateur n'est autre qu'un pédophile. Humbert Humbert est, sans parler de sa crapuleuse attirance pour les nymphettes, un odieux personnage, manipulateur de génie, méprisable car méprisant à l'égard de tous. Le récit est celui de la traque du prédateur H.H., qui, lorsqu'il a jeté son dévolu sur sa jeune proie Dolorès Haze, ne lui laissera plus aucune chance. Le machiavélique obsédé, pour atteindre la fille, épousera la mère, que le destin (et la découverte du pot aux roses) jettera sous les roues d'une voiture. Voila Lolita livrée aux "mains simiesques de Humbert le Terrible", seule au monde, sans plus personne pour la protéger de ce beau-père (quasi-)incestueux.
Le Lolita de Nabokov n'est évidemment pas un témoignage, ni un récit biographique, ni une chronique journalistique. Il n'en a pas le ton, ni l'authenticité - même s'il n'est besoin d'aucune imagination pour réaliser que de véritables Humbert existent dans notre monde, et que le calvaire vécu par cette Lolita de papier a été subi par de jeunes victimes réelles. C'est bien évidemment cet aspect, cette réalité présente à mon esprit, qui a rendu la lecture si difficile. Car même si Nabokov, avec l'immense talent qui transpire de chacune de ses lignes, ne relate aucun des abus et n'use d'aucun terme lié à ce thème (sauf, ironiquement, pour créer des métaphores hors sujet), les abus quotidiens et la souffrance de Dolorès étaient omniprésents, sous les mots mêmes de son bourreau. Ce qui est tu est parfois bien plus éloquent que ce qui est dit...
Là où les impressions deviennent ambigües, c'est que le style de Nabokov relève du pur génie, ce qui a presque effacé les sentiments désagréables évoqués plus haut. Evidemment, il y a la prouesse d'avoir fait de son narrateur un personnage tout à fait abject, mais excessivement raffiné, y compris et surtout dans le mépris ultime qu'il éprouve à l'égard de tout et de tous, sauf de sa Carmen. Lolita est le premier livre que Vladimir Nabokov ait écrit en anglais, et non content de ressortir des mots peu usités, il en détourne certains et il en invente d'autres (le plus connu : nymphette) ! Lolita est richissime d'un point de vue stylistique.
C'est donc en raison de ce bilan mitigé que je ne sais que conclure : Lolita est-il un chef-d'oeuvre à lire (pour la plume nabokovienne, absolument !), ou bien à réserver aux âmes les moins sensibles ? Pour ma part, j'espère bien vite retrouver le talent de Nabokov dans une oeuvre sur un autre thème !
Vladimir NABOKOV, Lolita, 1955.